-
Extrait -
Chez le Dr Dubosc, la balance aussi était
moderne, très design, comme ils disent dans les magazines.
N'empêche qu'elle affichait 93 kilos 300 grammes et
que ça m'a fichu les boules. On ne devrait jamais voir
de docteur après les vacances de Noël.
- Alors... Ben... Raconte-moi un peu ce que tu manges...
- Euh... j'ai répondu, super à l'aise.
- Qu'est-ce que tu aimes ?
- Ben tout! Ou à peu près... Maman s'est lancée
dans une longue tirade de mère typique, et qui m'a
mis la honte. Quand il a pu en placer une, le docteur m'a
demandé:
- Alors, d'après toi, qu'est-ce que tu manges qui pourrait
te faire grossir ?
J'ai hésité et puis j'ai dit :
- Rien de spécial ! Je mange comme tout le monde, c'est
juste que mon métabolisme assimile plus les graisses
et ne brûle pas assez de calories. Le docteur a souri.
J'avais lu cette histoire de métabolisme dans la brochure
que l'infirmière du collège m''avait donnée
à la fin de la visite médicale.
- D'accord. C'est vrai... On ne réagit pas tous de
la même manière aux aliments, mais bon, ça
n'explique pas tout... Est-ce que tu bois des sodas ?
- Euh... Oui ! Du Coca.
- Est-ce que tu manges des gâteaux...
- Des fois...
- Tu aimes les plats en sauce ?
Je n'ai pas répondu parce qu'il commençait à
m'énerver avec ses questions. Je voyais très
bien où il voulait en venir, comme si je ne savais
pas déjà depuis longtemps que tout ce qui est
bon est justement ce qui est " mauvais " pour moi.
On n'a jamais vu un docteur vous interdire les choux de Bruxelles,
par exemple.
- Est-ce que tu reprends plusieurs fois d'un plat ?... Est-ce
que tu manges entre les repas ?...
J'aurais pu continuer la liste à sa place: le pain
beurré, le chocolat, le beurre avec le fromage, la
crème fraîche sur la tarte Tatin, le ketchup
dans les pâtes, le pain dans la sauce, la mayonnaise
avec les frites, la glace vautré sur le canapé
en regardant une vidéo, les éclairs au chocolat
en sortant du bahut, la charcuterie, etc. Tout ce qui faisait
que ça valait le coup de sortir de son lit le matin,
quoi!
- Il y a des règles d'hygiène alimentaire qui
sont faciles à suivre au quotidien...
Faciles à suivre ? Pour qui ? Pour lui qui est tout
maigre et qui doit manger un bol de riz blanc les jours de
fête?
Même s'il m'agaçait copieusement, j'ai tout de
même écouté la longue énumération
de ces fameuses règles, puisque j'étais là
pour ça et que j'étais bien décidé
à maigrir. Il me suffisait de visualiser la silhouette
de Claire à la piscine pour me souvenir que ça
valait vraiment la peine.
Enfin, le docteur a donné à maman une feuille
sur laquelle étaient écrits les secrets d'un
régime sans carences alimentaires.
- Il ne faut pas oublier que Ben est en pleine croissance...
Il ne s'agit pas de faire n'importe quoi...
Puis il s'est tourné vers moi et a dit:
- Je te propose un truc qui marche très bien en général...
Tu t'achètes un carnet sur lequel tu notes chaque jour
tout ce que tu manges. Tout, vraiment, même entre les
repas, même les boissons ... On regardera ça
ensemble à ta prochaine visite ... Bon, maintenant,
allonge-toi là, on va commencer la séance.
Je ne savais pas très bien ce qu'il voulait dire par
séance, mais je me suis soudain rappelé ce que
j'avais lu sur la plaque de l'entrée de l'immeuble
quand il s'est avancé vers moi avec un panier plein
de toutes petites aiguilles : acuponcteur.
- Avec les aiguilles, je vais stimuler les lignes de force
de ton corps pour t'aider dans ton régime. C'est très
efficace.
Ça faisait surtout un mal de chien, même quand
j'essayais de me détendre, comme il me le disait, et
que je respirais un bon coup à chaque fois qu'il me
transperçait la peau. En dix minutes, je me suis retrouvé
comme un hérisson, n'osant plus faire un geste de peur
d'enfoncer définitivement les aiguilles. Certaines
donnaient l'impression de m'envoyer des petites ondes de chaleur,
surtout les quatre qu'il avait plantées en ligne dans
mon ventre et celles qui étaient piquées sur
le dessus de mes deux quatrièmes doigts de pieds.
- Voilà ! il a dit en tirant sur moi une couverture
de survie argentée et dorée. Détends-toi,
je reviens dans une vingtaine de minutes.
Et il est sorti pour s'occuper d'un autre patient dans une
pièce voisine. Me détendre ! Facile à
dire quand on n'a pas une bonne trentaine d'aiguilles plantées
de la tête aux pieds.
Reproduit avec l'aimable autorisation des
éditions Thierry Magnier
© Editions Thierry Magnier - toute reproduction interdite
Retour
au livre
Haut
de la page
Retour
à l'accueil