- Extrait -

Chapitre 1

[…]

La nuit était limpide, très étoilée. Beaucoup trop pour moi. De ces nuits qui me rendent si petit. J'étais soudain très pressé de rentrer et je roulais trop vite.

Elle est sortie de nulle part, d'un coup, comme une apparition. J'ai pilé, tout le poids de mon corps sur la pédale de frein. J'ai vraiment eu l'impression d'un animal sauvage aveuglé par la lumière des phares. Mon pare-chocs s'est immobilisé à quelques centimètres de ses jambes blanches et nues, et ma poitrine m'élançait si fort que j'ai eu peur, un quart de seconde, de retrouver mon cœur palpitant sur le tableau de bord.
J'ai alors croisé furtivement son regard. Elle ne devait pas me voir, dans le noir de l'habitacle, et ses yeux étaient perdus. Dans ma peur, dans ma stupeur, j'ai eu le temps de me dire que cette jeune femme était très belle, puis, au même instant, qu'elle était terrorisée et que je devais l'aider.
J'ai pris une bonne inspiration pour tenter de retrouver un peu de calme et suis sorti de la voiture. Il faisait froid et elle ne portait presque rien. Une robe courte, très sexy, beaucoup trop pour ce plein hiver. J'ai enlevé mon blouson et me suis approché doucement. J'avais l'impression d'être un dompteur et que le moindre geste un peu brusque la ferait bondir hors de la route et disparaître dans les bois.
- Ça va ? j'ai demandé en m'approchant lentement.
Elle m'a regardé bizarrement, comme si elle ne comprenait pas ce que je disais.
- Vous allez bien ?
Elle tremblait. Pas que de froid. Je me suis approché et lui ai posé mon blouson sur les épaules, emprisonnant le bas de ses cheveux mi-longs. Elle a aussitôt fondu en larmes. Après quelques secondes d'hésitation, je l'ai serré dans mes bras, très embarrassé. Elle pleurait comme une enfant égarée. Inconsolable.
Transi de froid sans mon blouson, je l'ai lentement guidée vers le côté passager de ma voiture.
Une fois assis à ses côtés, j'ai remis le contact et le chauffage à fond. Je me suis tourné vers elle et j'ai vu qu'elle serrait un téléphone portable dans sa main. En remontant vers son visage, mon regard a deviné au passage, malgré la pénombre, une vilaine marque autour de son cou. Un large hématome. Puis nous nous sommes regardés en face pendant un court moment. Elle avait des yeux très clairs, perçants, terribles. Je pouvais y lire une peur infinie autant qu'une menace redoutable. Tel un flash, le cœur piquant un sprint, j'ai eu la prémonition d'un grand bouleversement. Quelque chose était né en moi à cet instant précis, qui ne devait plus jamais me quitter.
J'ai détourné les yeux le premier, comme à bout de forces.
- Bon, j'ai commencé d'une voix mal assurée, je vais vous ramener chez vous ! Vous me guidez ?… Comment vous appelez-vous, au fait ? Moi, c'est Luc.
Elle m'a regardé en fronçant les sourcils. J'ai répété :
- Votre nom ? Quel est votre nom ?
J'ai enfin entendu le son de sa voix, teintée de ce fort accent étranger, roulant et ascendant que, depuis, j'ai appris à aimer :
- Je ne sais pas.


Reproduit avec l'aimable autorisation des éditions Albin Michel.
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