- Extrait -

Prologue

     La chouette se laissa tomber dans un froissement d’ailes, cassant les vertèbres du rongeur d’un coup de bec. Un couinement de douleur, puis à nouveau le silence. L’oiseau commençait à déchiqueter sa proie quand un bruit l’alerta. Ses yeux ronds scrutèrent la nuit et il s’envola, abandonnant la carcasse sanglante à la neige.
Trois silhouettes avaient jailli du luxueux chalet dressé au milieu de la clairière. Elles coururent jusqu’au couvert des grands sapins puis s’élancèrent sans reprendre haleine sur le chemin forestier. La lune sortit de derrière les nuages, ils étaient quatre maintenant. Quelques mots furent échangés, des ordres donnés, des cris étouffés. Puis ce fut le bruit de deux moteurs qui démarrent. Une moto s’éloigna en premier, suivie de près par un 4x4 au diesel fatigué.
     Le ciel se referma et ce fut comme si rien ne s’était passé. Pourtant, le silence revenu n’avait rien de la froide quiétude d’une nuit d’hiver en montagne. Il était épais et vibrant, si lourd qu’aucun animal alentour n’osa le moindre mouvement. La porte du chalet était restée ouverte et, sur le marbre blanc du vestibule, une mare de sang se coagulait.

     L’édition du 27 février 1991 de L’Écho de la Vallée titra « Massacre près de Vallorcine. » Celle du Dauphiné libéré : « Sous la marque du diable » ! La presse nationale s’empara aussitôt de l’évènement.
     Les jours suivants, on ne parla plus que du double assassinat du couple de Suisses, des signes sataniques tracés sur un mur avec le sang de l’homme, et de ceux gravés à même la peau de sa compagne retrouvée égorgée dans leur lit.
     Plus que leur sauvagerie, ce fut la gratuité de ces meurtres qui frappa les esprits. Rien n’avait disparu dans le chalet et chacun se dit qu’il aurait pu être la victime de cette barbarie sans mobile. Les foyers s’équipèrent de fusils et de carabines et, pendant des semaines, on entendit des coups de feu dans la montagne. Femmes et hommes s’entraînaient au tir, bien décidés à vendre chèrement leur peau si ceux que la presse avait baptisés « Les bourreaux de Vallorcine » attaquaient de nouveau.
     Mais rien ne se passa. Avec le temps, le calme revint sur la vallée et les fusils furent rangés dans les placards. L’enquête mourut d’elle-même ; ce double meurtre aurait dû rester à jamais dans la pile des affaires non résolues.


Reproduit avec l'aimable autorisation des éditions Albin Michel.
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