MALDONNE

- Extrait -

Prologue

On dirait une plage. Pourtant ce n’est pas du sable sous ses pieds nus. C’est de l’herbe qui la chatouille et sur laquelle la mer vient s’échouer sans bruit avec des langues d’écume qui s’effacent le temps qu’une autre vague arrive. Impossible de dire s’il fait nuit ou jour. La lumière est trop étrange. Mais elle s’en moque. Elle marche. Elle court aussi et joue avec la mer. Elle va si vite que le vent lui caresse le visage et chasse ses larmes. Des larmes de joie, elle en est sûre. Si elle s’applique, elle parviendra à marcher sur l’eau.
Elle l’a déjà fait.
Mais ses jambes commencent à la chatouiller. Ses bras aussi. Cela ressemble à des milliers de fourmis qui lui grimperaient dessus. Elle voudrait les chasser mais elle n’y parvient pas. Elle ne peux pas non plus s’éponger le front alors qu’elle a si chaud. Il va falloir qu’elle appelle sa mère. Elle n’est jamais loin dans les rêves. Car elle sait qu’elle est en train de rêver. Elle l’a toujours su. C’est pour cela qu’elle ne fait pas souvent de cauchemars : parce que quelque part, tout au fond, elle sent qu’ils ne sont pas vrais.
Elle va appeler sa mère, pas trop fort pour ne pas se réveiller. Pour ne pas risquer de retrouver son corps.

- Maman… Maman !
Il faut du temps pour que Sandrine comprenne que la voix ne fait pas partie de ses songes qui s’effacent aussitôt sans laisser de trace. Pourtant, elle est déjà debout. L’habitude, sans doute.
Elle baisse le volume du baby phone et, quelques pas plus loin, la descente des marches de l’escalier la réveille tout à fait. Elle n’a pas encore les volumes en tête, les gestes rompus aux espaces, et allume la lumière de peur de tomber.
La fillette n’est qu’à moitié éveillée, mais comme toujours, elle sent sa présence.
- Les fourmis, maman… J’ai des fourmis.
La mère déplace légèrement sa main droite, puis la gauche, tourne un peu ses chevilles et la voilà apaisée.
C’est la deuxième fois cette nuit. À son radioréveil, il est 3 heures 16. Sans doute devra-t-elle se relever encore une fois avant le matin. C’est souvent ainsi quand il fait chaud et Sandrine se dit qu’il faut absolument penser à faire réviser la vieille chaudière.
L’enfant a les yeux ouvert.
- Dors, Juliette. Dors, ma chérie, lui murmure la mère. C’est la nuit encore. Dors, mon cœur…
La petite ferme les paupières mais n’a pas envie de se rendormir tout de suite. Elle lutte contre le sommeil et, à travers ses cils, regarde la silhouette de sa mère qui, avant de remonter, jette un œil par la fenêtre en soulevant le double rideau.
Elle regarde leur ancienne maison, de l’autre côté de l’allée. Sans un bruit, des flocons de neige virevoltent dans la lumière orangée des lampadaires.
Elle se sent bien. Simplement bien.
Elle pense C’est ça, le bonheur ?
Elle avait oublié.
Elle remonte et se couche sans faire de bruit, s’efforçant de ne pas faire grincer le sommier. Elle ne ferme pas les yeux tout de suite. Elle a envie de retarder l’endormissement, de jouer avec le sommeil. Envie de profiter.
La mère et la fille, chacune dans son lit, la première à l’étage, la seconde au rez-de-chaussée, veulent, une fois encore, se bercer de leur histoire.
Il s’est passé tant de choses cet été. La vie qui change. Elles n’auraient jamais cru cela possible.


Reproduit avec l'aimable autorisation des éditions Albin Michel.
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